Écritures (braises) – Julien Verhaeghe
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Dans la série des Écritures, Benoit Blanchard reproduit à la sanguine des braises. Fragiles et translucides, elles ont pour particularité de ne pas montrer les flammes qui les consument, ni même l’espace qui les environne. Seuls subsistent un tracé rouge et fin, des hachures figurant discrètement le relief, et des zones vides qui se confondent avec la blancheur du papier.
On est d’abord intrigué par le tortillement des traits colorés : ils laissent parfois émerger un dessin rigoureux et réaliste, quand le motif parait d’autres fois s’abstraire, comme si ces braises s’éteignaient peu à peu, ayant perdu de leur chaleur. Puis on se dit que leur intention n’a jamais été d’en rendre l’incandescence ni le dépérissement. Une certaine légèreté s’en dégage, celle initiée par de minuscules gestes de dessinateurs, gestes presque fortuits, idiosyncrasiques, qui témoignent simultanément d’une patience et d’un empressement s’emparant de la main de l’artiste. Il s’agit d’une écriture.
Cette légèreté est peut-être une forme de candeur, car en oscillant entre deux pôles – le contrôle et l’insouciance, la nécessité de rendre compte et la liberté d’être soi – Benoît Blanchard met en œuvre un attachement particulier à l’égard des objets qu’il appréhende. Le passage par l’accumulation témoigne de sa volonté d’interroger le réel pour sa diversité, pour sa richesse, pour toutes ces petites choses qui marquent mais que l’on ne parvient pas toujours à décrire avec des mots, ni même avec des images. Il adopte donc le point de vue de la curiosité, là où l’empathie pour le monde rend nécessaire un regard mobile, un regard de collectionneur conscient du temps qui passe et qui trépasse.
Ce point de vue est aussi une méthode, car il se rapporte aux taxinomies naturalistes qui fragmentent la réalité pour mieux en saisir les articulations. Méticuleuses et précises, diaphanes et flottantes, les braises dessinées à la sanguine explorent des nuances formelles que l’on ne discerne qu’à la mesure d’une patiente observation. L’artiste partage avec l’approche naturaliste l’attrait de la perception, celle qui reste motivée par le discernement des ressemblances et des déclinaisons, tout comme par l’observation des moindres aspérités.
Gerçures et craquelures restituent la fragilité de la matière, les tracés délicats s’éparpillent dans une relative lenteur, tandis que l’œil est invité à en sonder les petites brèches.
Pourtant, à la différence de la méthode taxinomique traditionnelle, ce n’est pas la connaissance qui motive une telle entreprise, ne serait-ce qu’en raison des motifs examinés : ici, nul organisme vivant n’est appréhendé de manière classificatoire, il s’agit davantage de scruter la réalité qui nous entoure, dans ce qu’elle a parfois de quotidien et d’anodin, parfois même pour le détachement qu’elle suscite. Ces braises relèvent de l’ordinaire le plus souverain, mais il revient sans doute à l’artiste de rappeler que le feu et la vie s’y logeaient encore il y a peu. Si l’art de Benoît Blanchard décrit une exploration sensible du visible, il nous montre aussi que toute écriture est une réécriture.
Julien Verhaeghe
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Texte écrit à l’occasion de l’exposition Corrections avec la Galerie Daniez & de Charette en mai 2013